Gilbert Bordes
L'année des coquelicots de Gilbert Bordes
Nous sommes début janvier. L’époque où les cartes de vœux pleines de leurs messages souhaitant bonheur, réussite, pour cette année qui démarre à peine, emplissent les boîtes aux lettres. Mais pour Urbain, ce cadre de Quarante-cinq ans diplômé de l’institut des hautes études commerciales de Toulouse, c’est une carte de vœux toute particulière que lui apporte ce matin le facteur dans son bel appartement parisien. L’expéditeur n‘est autre que la SIMA, la société qui l’emploi. Et ce courrier, lettre recommandée, n’est autre que la notification de son licenciement. Sa société vient d’être rachetée par les Allemands, et l’effectif est revu par les nouveaux financiers. Armé d’une colère contenue, il aura un entretien avec son chef de service, Henri Simonet, qui ne pourra que lui annoncer que la décision est irrévocable. Qu’il ne peut rien pour lui. Là, à cet instant, il voudrait exploser de rage, se laisser aller à tout casser, mais Urbain n’est pas de ceux-là. Un vieil ami de toujours, Jean Bloth, est le président directeur général de la concurrence directe, la PRIMA. N’avait-il pas essayé de le débaucher, il y a de cela quelques années ? Mais les temps sont durs, et même pour lui, ce vieil ami ne pourra rien. ….
Comment annoncer cela aux siens ? Non, il est bien trop fier pour avouer ce qui pour lui représente l’échec, la honte. Il y a d’abord sa femme Martine, épouse attentionnée, prof dans un collège de Paris. Vient ensuite Vincent, l’aîné, vingt-ans. Elève studieux, calme, à qui tout réussit. Urbain le promet à une belle carrière d’ingénieur. Et pour finir, Julien, le cadet, rebelle, celui qui ne veut pas suivre l’exemple brillant parental et qui n’en fait qu’à sa tête, boucle d’oreille, attitude désinvolte, coupe de cheveux provocante. Avec lui rien ne va. Non, vraiment il ne peut pas. Commence alors pour Urbain, la terrible course à l’emploi, les annonces des journaux sont épluchées, des lettres envoyées, mais rien n’y fait, trop vieux, trop diplômé. La déprime s’installe….
Il n’en peut plus, alors un jour, il décide de tout quitter, femme et enfant, pour se retrouver au hasard d’une route à Clermont-Ferrand. Là, il retrouvera un emploi modeste, une minuscule chambre à louer dans une petite maison aux papiers peint flétris sentant le renfermé, avec pour voisin Rachid, éboueur et M.Leroux, vieil hurluberlu artiste peintre. Petite communauté soudée qui vit chez Jeanine. Pour Urbain, tout est à reconstruire, il doit réapprendre tant de choses oubliées, et surtout ce qu’est l’essentiel dans la vie, sa vie….
Gilbert Bordes, par ce roman, nous entraîne dans la descente aux enfers qui suit généralement une perte d’emploi comme celle qui arrive à son personnage. L’histoire n’en est que plus terrible par son réalisme, un fait de société malheureusement d’actualité, et qui du jour au lendemain peut tous nous atteindre sans prévenir. S’en suivent très souvent, la déprime, laisser aller, le divorce, les privations difficiles quand on est habitué à un rythme de vie. Pour certains, ceux dont la société ne voudra plus, la chute terrible, sera sans fin, la rue deviendra leur seul refuge….
Une histoire douloureuse qui doit nous mettre en garde, et nous inviter à apprécier nos petits bonheurs actuels, notre vie présente, car nul ne sait de quoi sera fait demain….